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Sunday, August 2, 2020

EXCLUSIF. Les confidences du veuf de Pierre Bergé, Madison Cox - Le Journal du dimanche

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Le grand public ne le connaît pas tant il cultive la discrétion. Le destin de Madison Cox est pourtant intimement lié à deux grands hommes, Yves Saint ­Laurent et Pierre Bergé, le couturier star et son partenaire en affaires et dans la vie. Eux se rencontrèrent à Paris en 1958, l'année de la naissance de l'Américain à San Francisco. Le jeune étudiant fit la connaissance du célèbre duo à la fin des années 1970, partagea leur lit avant de devenir une référence mondiale du paysagisme – il a créé des jardins pour des célébrités comme le chanteur Sting, l'ex-maire de New York Michael Bloomberg ou la famille Agnelli. Depuis le décès en 2017 de Bergé, qu'il avait épousé, Madison Cox est à la tête de deux institutions légataires, la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent à Paris et la Fondation Jardin ­Majorelle à ­Marrakech. D'où il nous parle, confiné au Maroc depuis le 16 mars.

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Quel bilan faites-vous de ces trois ans de gestion?
Ça m'a pris beaucoup de temps de comprendre comment tout fonctionnait, qui faisait quoi. Pierre Bergé était un grand bâtisseur, mais il laissait la gestion du quotidien aux autres. J'ai d'abord fait un état des lieux, à Paris et ici. Le musée Yves Saint Laurent ­Marrakech, juste à côté du jardin Majorelle, c'était le dernier projet de Pierre. Il est décédé un mois avant son inauguration, en octobre 2017. Il voulait tout réunir dans un ensemble qui serait ouvert au public et que j'appelle le Grand Majorelle.

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Pierre Bergé était un grand bâtisseur, mais il laissait la gestion du quotidien aux autres

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Où en êtes-vous de sa réalisation?
On a commencé par permettre la visite par petits groupes de la Villa Oasis. C'était la résidence privée de Jacques Majorelle dans les ­années 1920, puis celle d'Yves Saint ­Laurent et Pierre Bergé quand ils ont racheté le jardin en 1980. Je ne souhaitais pas qu'elle devienne un sanctuaire pour moi ou pour des happy few. Elle n'a pas bougé depuis l'époque où ils y vivaient, avec les mêmes meubles et tapis, les mêmes photos accrochées au mur. C'est là que Saint Laurent venait se réfugier pour dessiner ses modèles. En 2019, on a reçu 1,5 million de visiteurs à Majorelle. Ouvrir les parties privées nous permet de doubler la superficie, de fluidifier la fréquentation tout en partageant ce patrimoine.

Quels autres projets avez-vous pour ce lieu?
On va construire un nouveau bâtiment pour le Musée berbère, actuellement situé dans l'ancien atelier de Jacques Majorelle. Nos collections sont devenues trop importantes pour les 200 mètres carrés de ce musée qui a participé à la reconnaissance de la culture amazighe, c'est‑à-dire berbère, longtemps taboue au Maroc. Nous avons signé une convention avec le Mucem de Marseille, dont le savoir-faire va nous permettre de réaliser enfin un inventaire mais aussi de collaborer pour des ­expositions. Un de mes objectifs est d'élever notre niveau muséal. En septembre, Alexis Sornin, jusqu'ici au Palazzo Grassi de Venise, va nous rejoindre pour diriger les musées berbère et Saint Laurent.

Le public marocain est-il concerné?
Il représente moins de 20% des visiteurs. Les Marocains n'ont pas cette habitude occidentale d'aller au musée, un lieu intimidant qu'ils estiment réservé aux touristes. On fait en sorte de démystifier cette expérience. On a des programmes pédagogiques avec les écoles. On vient de signer avec le wali, le gouverneur, pour louer un terrain de 0,5 hectare jouxtant Majorelle. On va y construire un bâtiment de deux étages où l'on dispensera des cours, de jardinage notamment. On va aussi créer une pépinière. En septembre, on fera venir Marc Jeanson, le responsable de l'herbier du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Il sera notre directeur botanique, de manière à enrichir les collections du jardin.

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On profite du confinement pour procéder à de gros travaux à Majorelle

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Quelles sont vos perspectives d'ouverture?
On est confinés et les frontières sont fermées. J'espère qu'on pourra ouvrir mi-septembre. On en profite pour procéder à de gros travaux, ravalement et étanchéité, qu'on n'avait jamais pu faire puisque Majorelle fonctionne trois cent soixante-cinq jours par an.

Et le musée Yves Saint Laurent de Paris?
Ce sera pour fin septembre ou début octobre, avec l'exposition Betty Catroux [mannequin que Saint Laurent décrivait comme son double féminin]. Elle a fait don de 300 pièces à la fondation. Anthony Vaccarello [directeur artistique de la maison de couture] met en scène une partie de ce vestiaire incroyable. C'est la première fois que la fondation et la marque sont réunies. À la fondation, j'ai élargi le conseil d'administration à des personnalités culturelles : Laurent Le Bon, le directeur du musée ­Picasso ; Paloma Picasso, qui était très amie avec Pierre et Yves ; ­Francesca Bellettini, la PDG du groupe Yves Saint ­Laurent, que j'admire beaucoup ; Maxime ­Catroux, la fille de Betty, qui est éditrice chez ­Flammarion ; ­Bérengère Primat, à la tête de la Fondation Opale en Suisse et du musée Schlumberger en ­Normandie.

2021 marquera les 60 ans de la maison Saint Laurent. Qu'est-il prévu?
On prépare des choses liées aux sources d'inspiration d'Yves Saint Laurent à Paris et à New York. Il a créé sa marque avec Pierre Bergé en décembre 1961. On ouvrira donc les festivités en décembre 2021 à Paris avec une exposition intitulée "Hommage à ma maison", le nom qu'il avait donné à une veste. On n'exposera qu'une seule robe, la toute première, et on rendra hommage aux métiers de la couture en reproduisant l'atelier. À partir de janvier 2022, une douzaine de lieux à Paris accueilleront un dialogue entre Saint Laurent et l'art qui l'inspirait. J'ai présenté le projet à Brigitte Macron fin février. J'espère en faire autant en septembre au ministère de la Culture. C'est moins avancé à New York, où on prévoyait des installations dans plusieurs musées. Mais la situation y est catastrophique.

En avez-vous fini avec les ventes de résidences, de collections d'art et de livres de Pierre Bergé?
Ce n'est jamais fini… L'objectif est de financer nos projets et de préserver l'avenir de la fondation. Il reste une dernière partie de la bibliothèque de Pierre Bergé, constituée des invendus des premières ventes car il avait fixé des prix de réserve. Ce sera pour novembre.

Les différentes ventes ont atteint des records. Est-ce dû à un attrait people?
Ce côté people existe. Pierre Bergé et Yves Saint Laurent formaient un couple fascinant. Mais ils étaient surtout des hommes de goût et de culture qui s'intéressaient à de nombreux domaines. Yves n'aurait jamais vendu, c'est quelqu'un qui voulait tout garder. Pas Pierre, qui cherchait à créer, à faire bouger les choses. Après le décès de Saint Laurent, il souhaitait consacrer les années qui lui restaient à bâtir et à financer des projets. D'où les ventes. C'est la mission que je poursuis.

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Une histoire d'amour qui a évolué avec le temps

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Qu'avez-vous conservé de lui?
Des petites choses, comme des livres qu'il m'a dédicacés… Je n'ai pas cet attachement aux objets.

Pouvez-vous nous raconter votre rencontre?
J'ai été amené à la maison de ­couture par une amie commune. C'était début janvier 1978, juste avant une collection. J'étais étudiant. Un an et demi plus tard, j'ai été invité à Deauville, où Pierre et Yves louaient une maison avec Anne-Marie Muñoz, qui était le bras droit de Saint Laurent. J'étais un gamin qui découvrait ce monde français un peu à part. Puis on a entamé une histoire plus intime avec Pierre Bergé.

Comment vous insériez-vous dans ce tandem?
C'était compliqué. Au début, on se voyait tous les trois. Mais la jalousie a fini par s'installer, de la part de Saint Laurent. Ce n'était pas très sain pour chacun. J'étais jeune et intimidé, j'avais peur d'être écrasé par ces deux hommes à fort caractère et au statut important. Je me suis rendu compte que la seule façon d'exister par moi-même était de partir, alors je suis rentré aux États-Unis, en 1987. Ils avaient des choses à régler entre eux. Pierre m'a souvent dit par la suite que j'avais bien fait, pour moi mais aussi pour lui. C'est après mon départ que leur relation a changé, qu'ils se sont définitivement séparés, tout en restant évidemment amis.

Comment avez-vous renoué?
Pendant quelques années, on ne s'est plus parlé. J'ai fait ma vie et ma carrière, j'ai beaucoup voyagé pour mon travail. Puis, à la fin des années 1990, il m'a appelé pour que je vienne m'occuper du jardin Majorelle. Entre nous, c'est une histoire d'amour qui a évolué avec le temps. Notre relation est devenue plus franche, basée sur la confiance. Pierre était quelqu'un qui voulait tout contrôler. Ça ne marchait pas avec moi, je n'acceptais pas certaines choses. Même si ça lui était douloureux, il respectait énormément mon indépendance car il savait que j'étais fidèle… Je l'ai accompagné à la fin. Son état s'est dégradé en moins de deux ans, de canne en chaise roulante, puis à ne plus pouvoir bouger du tout. Il en était très conscient. On a eu le temps de beaucoup se parler, très franchement, presque crûment. Je pense très souvent à nos dialogues…

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Avec Pierre Bergé, on avait décidé de ne pas rendre public notre mariage jusqu'à sa mort

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Pourquoi vous êtes-vous mariés en secret, quelques mois avant son décès?
Cette histoire incroyable est née d'une conversation le Noël précédent. Je lui ai dit que j'avais entamé des démarches pour obtenir la ­nationalité française. Pierre a proposé qu'on se marie pour aller plus vite. Ce qu'on ne savait pas, c'est qu'il faut quatre ans de mariage! On avait décidé de ne pas le rendre public avant sa mort [Pierre Bergé l'a finalement officialisé en mai 2017 pour "régulariser [sa] situation avec Madison"]. Il était pacsé avec Yves Saint Laurent, quand le mariage gay n'existait pas. Notre union était aussi une manière pour lui de concrétiser et valider le mandat qu'il m'avait donné.

Sa foisonnante correspondance privée sera-t‑elle un jour publiée?
Ce serait intéressant de montrer cet aspect de cet homme multifacettes. Après son décès, j'ai reçu des lettres qu'il avait écrites à d'autres. Notamment à un monsieur dans le Midi avec lequel il correspondait depuis une rencontre il y a soixante ans… Il y a aussi le projet de publier un jour tous les dessins érotiques d'Yves Saint Laurent. Il y en a énormément. C'est une chose que Pierre Bergé n'aurait sans doute jamais pu faire, car c'était trop intime et qu'il s'agissait parfois de jeux entre eux. Mais c'est un aspect de la création de Saint Laurent.

Poursuivez-vous vos activités de paysagiste?
Bien sûr! J'ai 61 ans, le jardin reste ma passion et mon travail, je ne veux surtout pas l'abandonner. J'ai des chantiers en cours. J'ai la chance d'avoir des clients fidèles et compréhensifs. On échange par Zoom, puisque je suis confiné. Les trois dernières années ont été très intenses car je voulais assurer la pérennité de la fondation. C'est désormais sur la bonne voie.




August 02, 2020 at 04:00AM
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